Les IFRS devraient-elles être plus européennes ?
Depuis le 1er janvier 2005, les normes internationales d'information financière (IFRS), élaborées par l'International Accounting Standards Board (IASB) et homologuées par l’UE, s'appliquent aux comptes consolidés des sociétés cotées dans l'UE (règlement (CE) n°1606/2002 du 19 juillet 2002), avec option pour les Etats membres d’étendre cette obligation à d’autres sociétés.
La crise financière a fait prendre conscience à un grand nombre d’acteurs économiques et de responsables politiques de l’impact potentiel des normes comptables sur les performances affichées des entreprises et sur l’économie dans son ensemble. Il s’en est suivi une réflexion générale sur les IFRS, actuellement en cours, avec notamment une analyse prévue fin 2014 du règlement européen précité, destinée à évaluer les effets en Europe après huit années de normes comptables internationales.
C’est dans ce contexte que Michel Barnier, commissaire européen chargé du Marché intérieur et des Services, a confié en mars 2013 à Philippe Maystadt, ancien ministre belge et président de la Banque européenne d’investissement de 2000 à 2011, une mission aux fins :
- d’examiner les moyens de renforcer la contribution de l’UE aux normes IFRS,
- d’améliorer la gouvernance des organes européens qui participent à leur élaboration, notamment du Groupe consultatif pour l'information financière en Europe (EFRAG - organisation indépendante fournissant des avis d'experts) et du Comité de réglementation comptable (ARC - composé de représentants des États membres et présidé par la Commission européenne).
Etablies sur la base d’une série d’entretiens et de consultations, les recommandations de P. Maystadt ont été publiées le 12 novembre 2013 et ont été présentées aux ministres des Finances lors du Conseil ECOFIN du 15 novembre 2013. Son rapport s’intitule : « Les IFRS devraient-elles être plus européennes ? Renforcer la contribution de l’UE dans la normalisation comptable internationale » .
Le 29 novembre 2013, l’EFRAG a déclaré qu’il allait mettre en œuvre, sans tarder, les recommandations de M. Maystadt qui ont reçu le soutien unanime de l’ECOFIN, en commençant par élargir son assemblée générale.
Le 5 décembre 2013, la Fondation IFRS a également publié ses commentaires.
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En introduction, P. Maystadt relève que l’Europe s’exprime de plusieurs voix, parfois de façon opposée, ce qui a pour effet de réduire son influence sur les débats. En outre, il serait reproché à l’EFRAG, qui devrait représenter la voix de l’Europe, de ne pas toujours prendre en compte l’intérêt public, tandis que les normes comptables impactent les règles prudentielles du secteur bancaire et de l’assurance, les investissements et l’accès aux financements.
Néanmoins, il note que l’engagement pour des normes mondiales de qualité n’est pas remis en cause, chacun reconnaissant que les normes IFRS ont permis d’améliorer la qualité, la comparabilité et la fiabilité de l’information financière ; de même que le G20 a réitéré son soutien en juillet 2013.
S’agissant de la question du processus d’homologation, faudrait-il y introduire plus de flexibilité ?
Le processus européen actuel consiste en une homologation « norme par norme » au regard des trois critères suivants : (1) ne pas être contraire au principe d’image fidèle (2) contribuer à l’intérêt public européen (3) satisfaire à des caractéristiques qualitatives énoncées dans le cadre conceptuel (intelligibilité, pertinence, fiabilité et comparabilité). Il revient à l’EFRAG d’en vérifier le respect.
Il s’agit d’un processus laissant à l’UE trois possibilités - soit d’adopter la norme, soit de ne pas l’adopter ou de n’en adopter qu’une partie, ce qui conduit à un « carve out » ; mais il ne permet pas de « carve in », c’est-à-dire de modifier la norme ou d’y substituer une autre. Aussi, certains sont-ils tentés d’y introduire plus de flexibilité mais les risques identifiés par P. Maystadt sont nombreux, parmi lesquels le signal négatif donné au reste du monde.
En conclusion, le rapport recommande que, si l’UE décidait d’entrouvrir la porte à la flexibilité, celle-ci soit strictement encadrée par l’ajout de critères d’adoption au règlement européen. En tout état de cause, il estime qu’il conviendrait d’ajouter deux autres critères d’adoption – à savoir que les normes comptables adoptées ne devraient pas mettre en danger la stabilité financière et ne pas entraver le développement économique de la zone – aux trois critères actuellement en vigueur, qui gagneraient par ailleurs à être clarifiés.
Comment accroître l’influence sur l’IASB ?
L’IASB reconnait que l’influence de l’Europe serait renforcée s’il pouvait être certain que le point de vue exprimé par l’EFRAG, chargé des discussions techniques au nom de l’UE, représentait une position coordonnée et commune à la majorité des parties prenantes – en particulier des normalisateurs nationaux, et notamment en phase finale d’un projet, même si la diversité est bénéfique en début de processus.
Or, de nombreuses critiques s’élèvent à l’encontre de l’EFRAG : une gouvernance à parfaire, un manque de légitimité et de représentativité notamment des utilisateurs, l’adoption de positions sans considération des implications économiques et politiques, l’absence de validation de ces positions par le Supervisory Board, et un système de financement volontaire, complexe et peu fiable.
Les trois options possibles
Pour pallier les dysfonctionnements identifiés ci-avant, P. Maystadt envisage trois options susceptibles de renforcer l’influence de l’UE dans la normalisation comptable internationale :
(a) réorganiser l’EFRAG actuel (Groupe consultatif pour l'information financière en Europe),
(b) transférer à l’ESMA (European Securities and Markets Authority) les tâches assumées par l’EFRAG,
(c) créer une agence de l’Union Européenne.
Bien que l’option « intégration de l’EFRAG dans l’ESMA » présente plusieurs avantages (rationalisation des ressources humaines et financières, meilleure cohérence assurée par le regroupement des activités d’homologation (« endorsement » en anglais) et de mise en application (« enforcement » en anglais) au sein d’une entité, qui serait publique et non plus privée), elle a rencontré une opposition massive des parties prenantes, qui reprochent à l’ESMA de se soucier davantage des investisseurs que des préparateurs et qui craignent que la nouvelle entité ne devienne une SEC européenne. Pour les parties prenantes, la normalisation et la régulation doivent rester séparées.
S’agissant de la création d’une agence de l’UE, il convient de rappeler que l’UE fonctionne déjà en partie par le biais d’agences décentralisées, entités légales indépendantes des institutions européennes, telles que l’Agence spatiale européenne. Bien qu’elle présente des avantages, sa mise en place à court terme n’est cependant pas envisageable et en tout état de cause paraît irréaliste au regard du contexte budgétaire, même si cette option ne doit pas être écartée sur le long terme.
P. Maysatdt recommande la première option « Transformer l’EFRAG »
Les deux dernières options étant écartées pour les raisons exposées ci-avant, P. Maystadt recommande de procéder à la réforme de la gouvernance de l’EFRAG, aux fins de renforcer sa légitimité à représenter l’Europe et propose à ce titre une série de mesures :
- L’assemblée générale serait étendue aux Mécanismes Nationaux de Financement et autres contributeurs en argent ou en nature, elle superviserait le Board dont elle désignerait les membres.
- Le Supervisory Board actuel serait remplacé par un Board de haut niveau, qui approuverait les positions techniques, en s’appuyant sur le travail d’un groupe technique.
- Le Board comprendrait 16 membres, plus un président qui serait proposé par la Commission avec l’approbation du Conseil et du Parlement. Les 16 membres proviendraient des trois « piliers » : institutions publiques européennes (4 membres), parties prenantes (5 membres), normalisateurs nationaux (7 membres, avec accord implicite que ceux des 4 plus grands états seront toujours représentés).
- Le rôle du TEG (groupe technique d’experts de l’EFRAG) ne serait pas modifié quant à ses tâches, mais il deviendrait un conseiller du Board. Il serait toujours composé d’experts à temps partiel, dont 4 provenant de normalisateurs nationaux. Leur nombre pourrait passer à 16. Le CEO présiderait le TEG…
Enfin, P. Maystadt propose que l’ARC (Comité de réglementation comptable) renforce son dialogue avec l’EFRAG plus tôt dans le processus, afin d’influencer plus efficacement les activités de l’EFRAG et de l’IASB.
Alors que la Commission européenne étudie la mise en œuvre des recommandations émises par P. Maystadt, la Fondation IFRS a estimé important qu’elle fasse part de ses observations
Tout en reconnaissant qu’il revient aux autorités européennes de déterminer comment elles souhaitent organiser la contribution de l’UE aux normes IFRS, et rejetant à ce titre l’idée qui est exprimée dans le rapport selon laquelle l’Europe aurait renoncé à sa souveraineté en matière de comptabilité, la Fondation IFRS attire leur attention sur ses inquiétudes quant à l’option retenue de « transformer l’EFRAG », qui conduirait à rallonger le processus d’élaboration des normes - déjà très long.
En revanche, elle est heureuse de constater que le rapport recommande le maintien d’une procédure d’adoption « norme par norme » et qu’il met en garde contre les risques d’un processus d’adoption plus souple.
S’agissant de la recommandation de rajouter de nouveaux critères d’adoption, la Fondation IFRS se dit préoccupée par le malentendu persistant qu’elle traduit sur l’objectif général de l’information financière. Elle estime contribuer pleinement à la stabilité financière et la croissance économique, au travers de la transparence de l’information financière fournie aux marchés financiers. Le problème de la volatilité et de l’efficience du marché relèvent, selon elle, des décideurs (« policy-makers »), des régulateurs de marché et prudentiels et des dirigeants d'entreprises. Les normes comptables ne devraient pas être instrumentalisées pour tordre la réalité.
Enfin, la Fondation IFRS réfute un certain nombre d’affirmations parmi lesquelles l’IASB continuerait à reconnaître l’influence majeure de l’Amérique du Nord ou l’IASB aurait tendance à privilégier certaines actions (convergence internationale, adhésion de nouveaux adoptants…) au détriment des demandes de ceux qui appliquent déjà les IFRS. Elle reproche également qu’il ne soit pas fait mention des études universitaires qui ont largement démenti le postulat selon lequel les IFRS auraient exacerbé la crise financière. Elle souhaite mettre un terme à la légende des IFRS, exclusivement basées sur la juste valeur, réitérée à tort par certains opposants aux IFRS.
En conclusion
Malgré l’engagement exprimé pour des normes mondiales, la Fondation IFRS estime que certaines orientations pourraient remettre en cause cet engagement et invite l’Europe à s’organiser de façon à pouvoir prendre part, efficacement et en temps opportun, au processus de normalisation jusqu’à l’adoption des IFRS.
Pour consulter le rapport de P. Maystadt
Pour consulter le communiqué de presse de l’EFRAG
Pour consulter le communiqué de presse de la Fondation IFRS