Juger de la matérialité : l’IASB a publié un guide d’application
Objectif et périmètre du guide
Le guide d’application de l’IASB vise, sans normaliser de façon contraignante, à améliorer l’application du principe de matérialité dans les états financiers établis selon les normes IFRS, à l’exclusion de la norme IFRS pour PME.
Définition de la matérialité, principe d’application générale (« pervasive » )
« Une information est matérielle si son omission ou son inexactitude pourrait influencer les décisions que les utilisateurs prennent sur la base de l’information financière concernant une entité spécifique. En d’autres termes, c’est un aspect de la pertinence spécifique à une entité, fondé sur la nature ou l’importance (ou les deux) des éléments sur lesquels porte l’information dans le contexte du rapport financier d’une entité ».
Cette définition contenue dans le cadre conceptuel est reprise en substance dans les normes citées plus haut.
Le principe de matérialité s’applique à tous les aspects de l’information financière : la comptabilisation (« recognition » ), l’évaluation (« measurement » ), la présentation et les notes annexes (« disclosure » ).
Exercice du jugement au regard des besoins des utilisateurs premiers (« primary users » )
Exercice du jugement par l’entité
Lorsqu’une entité détermine si une information est matérielle, elle exerce son jugement pour déterminer si les décisions des utilisateurs premiers, basées sur les états financiers de l’entité, sont raisonnablement susceptibles d’être influencées.
Dans l’exercice de son jugement, l’entité doit tenir compte des circonstances propres à l’entité qui évoluent dans le temps et doit s’interroger, à chaque clôture, sur le caractère matériel d’une information au regard de ces évolutions et si les informations fournies dans les états financiers répondent aux besoins des utilisateurs.
Exemple illustratif
Une entité a pour méthode comptable d’activer ses dépenses d’immobilisations au-delà d’un seuil spécifié et de passer en charges les montants inférieurs. L’entité considère que cette méthode comptable – ne pas capitaliser ni amortir au-dessous du seuil défini – n’aura pas d’effet matériel et n’influencera pas les décisions des utilisateurs premiers. S’il n’y a pas d’intention d’obtenir une présentation particulière, ceci est une application correcte de la norme IAS 16 « Immobilisations corporelles ».
Définition d’utilisateurs premiers
Le cadre conceptuel définit les utilisateurs premiers. Il s’agit des investisseurs, prêteurs et autres créanciers, tant actuels que potentiels, c’est-à-dire les tiers qui fournissent ou sont susceptibles de fournir des ressources à l’entité et qui doivent se baser sur les états financiers à but général pour la plupart des informations financières dont ils ont besoin, ne pouvant exiger de l’entité que des informations leur soient communiquées directement.
Nature des besoins d’information à satisfaire
L’objectif des états financiers est de fournir des informations qui sont utiles aux utilisateurs primaires pour décider s’ils vont fournir des ressources à l’entité. Cependant, les états financiers à objectif général ne consistent pas à fournir toutes les informations dont les utilisateurs primaires ont besoin (et de toutes les façons, ils ne le pourraient pas). En conséquence, l’objectif de l’entité est de satisfaire les besoins d’information communs aux utilisateurs primaires. Elle n’a pas à satisfaire des besoins d’information spécifiques d’un utilisateur particulier, même premier.
Interaction avec les lois et réglementations locales
Les réglementations locales peuvent être moins exigeantes que les IFRS. Dans ce cas, les états financiers établis selon les normes IFRS ne devront pas limiter l’information au minimum requis localement.
Inversement, des exigences complémentaires relevant d’une règlementation locale pourraient y être intégrées ; mais dans ce cas, il faudra veiller à bien organiser l’information de façon à ce qu’elle n’obscurcisse pas les informations qui sont significatives selon les IFRS et n’introduise ainsi de la confusion.
Le processus de détermination du caractère matériel
Un processus en quatre étapes
Les décisions sur la matérialité comprennent quatre étapes :
- Identifier si une information peut être matérielle
- Etablir si elle est vraiment matérielle
- Organiser l’information dans le projet d’états financiers
- Vérifier que l’information est bien matérielle vis-à-vis des états financiers complets
Prise en compte des facteurs de nature qualitative et quantitative
La détermination du caractère matériel ou non doit prendre en compte les facteurs quantitatifs et qualitatifs.
S’agissant des facteurs quantitatifs, généralement, une entité détermine si une information est quantitativement matérielle selon l’importance d’une transaction au regard de certains indicateurs issus du bilan, du compte de résultat ou de l’état des flux de trésorerie. Ces indicateurs relèvent du jugement de l’entité.
Les facteurs qualitatifs correspondent aux caractéristiques d’une transaction ou de son contexte qui, si elles étaient fournies, pourraient influencer encore davantage les décisions des utilisateurs primaires des états financiers. Tel est le cas par exemple des transactions avec les parties liées (au sens de la norme IAS 24), qui doivent être examinées avec soin.
Exemples illustratifs :
a) Une entité signe un contrat de maintenance de cinq ans avec une société, qui est contrôlée par un membre clé de son personnel, donc, avec une partie liée au sens d’IAS 24 même si l’entité n’est pas consolidée. Même si le contrat est conclu à des conditions normales de marché avec une incidence quantitative faible, ce contrat peut être jugé matériel, car les utilisateurs peuvent être influencés par le fait qu’il est conclu entre l’entité et une partie liée.
b) Ayant consenti peu de prêts, une banque, qui n’est que très peu exposée dans un pays connaissant de sévères difficultés économiques – tandis que beaucoup de ses concurrents y sont très exposés, pourra considérer que l’information sur sa faible exposition est matérielle, alors même que le critère quantitatif ne serait pas rempli.
Autres éléments à prendre en compte
En revanche, lorsqu’une norme comprend des exigences minimales en matière d’informations à fournir dans les notes annexes, l’entité peut se soustraire à cette obligation si l’information n’est pas matérielle. Ceci constitue une importante novation et peut aider à combattre la longueur souvent excessive des états financiers et l’approche dite « check-lists » , qui contribue à une inflation constante des informations fournies.
Inversement, il peut être nécessaire de fournir une information non spécifiquement requise par les normes. Ainsi, une entreprise, opérant une centrale à charbon et ayant déprécié cette centrale, n’est pas tenue, selon la norme IAS 36 « Dépréciation d’actifs », de divulguer les hypothèses ayant permis de calculer le montant recouvrable. Mais le pays où est située la centrale allant vraisemblablement adopter un plan de réduction de l’énergie charbon, ce seul fait peut amener à conclure que l’information sur les hypothèses est matérielle pour l’entité.
Enfin, le fait qu’une information soit publiquement disponible ne dispense pas l’entité de vérifier si l’information est matérielle pour les états financiers. Ainsi, l’information sur un regroupement d’entreprises sera matérielle même si des communiqués de presse en ont par ailleurs déjà parlé.
Autres points spécifiques
Informations sur la période antérieure
Le référentiel IFRS exige que les entités fournissent des informations sur les périodes antérieures pour comprendre les états financiers de la période en cours. Ce faisant, l’entité doit exercer son jugement sur le jeu complet d’états financiers, y incluant les périodes antérieures.
Ainsi, une entité peut être amenée à développer une information qu’elle avait fournie dans les états financiers antérieurs, davantage qu’elle ne l’avait fait jusqu’à présent.
Inversement, l’information relative à la période antérieure peut être résumée. Par exemple, une entité, qui avait constitué une provision pour litiges dans la période antérieure et fourni des détails sur la constitution de cette provision (risques, incertitudes, calendrier…), n’aura pas à fournir une deuxième fois le détail de la provision si la plupart de ces incertitudes ont été depuis levées et le montant confirmé par un jugement.
Erreurs
Le processus à suivre pour déterminer si une erreur est matérielle ou non n’est pas différent de celui suivi pour les autres informations, étant toutefois précisé que les erreurs de sens contraire ne peuvent être compensées.
Informations sur les covenants
L’information sur les covenants bancaires et le risque qu’ils ne soient pas respectés sera généralement significative, sauf si le risque de non-respect est extrêmement faible (« remote » ).
Le jugement dans les comptes intermédiaires
La matérialité sera jugée par rapport aux comptes intermédiaires, sans projection sur les futurs comptes annuels. Ainsi, une information non matérielle pour les comptes intermédiaires, mais susceptible de l’être dans les comptes annuels ne sera pas mentionnée dans les comptes intermédiaires.
Conclusions
Il s’agit d’une tentative méritoire de rendre opérationnel le principe de matérialité. Mais l’exercice a ses limites en raison du choix, sans doute inévitable, de la « méthode douce ». D’une part, celle-ci exclut toute contrainte et sanction ; et d’autre part, ne bénéficiant pas d’une revue post-application, il sera difficile de vérifier son degré d’application.